3.

 

— Comment était-ce, de déambuler dans le temple ? Et dans le palais ? demandai-je. La belle maison, je peux me la représenter, mais le palais ? Était-il recouvert d’or ? Et le temple ?

Il ne répondit pas.

— Décrivez-moi les choses, Azriel. Prenez le temps de me les décrire. Le temple, par exemple, voulez-vous m’expliquer comment il était ?

— C’était une splendeur d’or et de pierreries. Un univers resplendissant de l’éclat des objets précieux, des senteurs de parfums exquis, de la musique des harpes et des flûtes ; un univers où glissaient des pieds nus sur des dalles lisses découpées en forme de fleurs. Il sourit. Mais, reprit-il, c’était bien plus amusant que vous ne pourriez l’imaginer. Pas solennel du tout. Les deux bâtiments étaient colossaux ; vous savez que Nabuchodonosor avait conçu le palais à la gloire du passé, tout au moins le croyait-il, et qu’il avait beaucoup agrandi les jardins privés. Quant au temple, c’était une immense bâtisse qu’on appelait Esagil ; derrière elle se dressait la grande ziggourat Etemenanki, avec son escalier montant vers le ciel et ses rampes menant au sommet du temple de mon dieu préféré.

Le temple et le palais étaient pleins de portes verrouillées et scellées. Certains de ces scellés n’avaient pas été brisés depuis cent ans. Comme vous le savez peut-être, nous avions des contrats établis de cette façon… un contrat était écrit sur une tablette d’argile, séché, puis enfermé dans une enveloppe d’argile avec les mêmes mots tracés dessus, qu’on faisait sécher à son tour. Personne ne pouvait accéder à la tablette originale placée à l’intérieur sans briser l’enveloppe. Si un individu corrompu modifiait le texte de l’enveloppe extérieure, la tablette scellée à l’intérieur révélerait la vérité.

À la Cour il arrivait fréquemment que des gens apportent des contrats, et qu’on découvre, en brisant l’enveloppe, qu’un individu sans scrupules en avait modifié le texte. Le roi, ses conseillers et ses sages rendaient alors la justice. Mais jamais je n’ai suivi de condamné pour assister à l’exécution. Comme vous le disiez, j’ai grandi dans le beau.

Dans les rues de Babylone, jamais je n’ai vu de gens affamés. Ni d’esclaves maltraités. Babylone était la ville où le monde entier rêvait de vivre ; à Babylone, tout le monde était heureux, sous la protection du roi.

Mais revenons à votre question. On pouvait aller et venir dans le temple. Je pouvais me glisser, en fines chaussures incrustées de pierreries, dans les chapelles des autres dieux – Nabou, Ishtar, ou tout autre dieu ou déesse apporté d’une autre cité pour être abrité dans un sanctuaire. En effet, Cyrus le Perse, presque constamment en guerre, prenait l’une après l’autre les cités grecques situées le long de la côte. De tous les territoires de Babylonie, les prêtres effrayés nous envoyaient leurs dieux pour que nous leur offrions protection à l’abri de notre grande porte. Nous avions installé ces divinités dans des chapelles étincelantes de lumières.

Cette peur pour le dieu, cette peur que l’ennemi ne le dérobe, était très réelle. Mardouk lui-même, volé et emporté, avait été prisonnier dans une autre cité pendant deux cents ans ; cela avait été un grand jour pour Babylone, longtemps avant ma naissance, lorsque Mardouk avait été repris et ramené chez lui.

— Vous en a-t-il jamais parlé ?

— Non. Mais je ne le lui ai pas demandé. Nous y viendrons…

Comme je le disais, j’aimais me promener dans le temple. Je portais des messages aux prêtres ; je servais à table quand Balthazar dînait, et je me faisais des amis des eunuques, des esclaves, des pages, et même de certaines prostituées du temple, des femmes très belles.

Mais le travail que j’accomplissais au temple et au palais obéissait à un objectif babylonien. Le gouvernement n’attendait pas que les riches otages comme nous, les riches exilés, se contentent de stimuler la culture. Nous étions soumis à une formation babylonienne ; ainsi, si nous retournions un jour dans notre propre cité ou dans quelque lointaine province, nous serions de bons Babyloniens, des serviteurs du roi loyaux et compétents.

Il y avait des quantités d’Hébreux à la Cour. Néanmoins, certains de mes oncles enrageaient de nous voir, mon père et moi, travailler au temple. Nous nous contentions de balayer leurs critiques d’un haussement d’épaules : « Nous n’adorons pas Mardouk ! Nous ne soupons pas avec les Babyloniens. Nous ne mangeons pas la nourriture qu’ont mangée les dieux. » Et une grande partie de la communauté juive pensait comme nous.

Permettez-moi une petite parenthèse concernant cette histoire de nourriture. C’est encore important pour les Hébreux, non ? Vous ne mangez pas avec les païens ? En tout cas, nous ne le faisions pas, en ce temps-là, et nous ne mangions jamais rien qui eût d’abord été déposé devant une idole. C’était une règle essentielle.

En bons Hébreux, nous ne rompions le pain qu’entre nous, et nous nous lavions toujours soigneusement les mains en disant les prières rituelles avant le repas ; tout, dans nos vies, était imprégné du désir de louer Yahvé, notre Dieu des Armées. Mais il fallait que nous survivions. Nous étions fermement décidés à retourner chez nous fortune faite. Il nous fallait être fort. Cela supposait toujours la même chose : nous devions être suffisamment puissants pour nous disperser sans nous laisser détruire.

Il y eut, là encore, une de ses inévitables pauses. Azriel se pencha et attisa le feu, comme s’il voulait réfléchir. Attiser le feu est un de ces gestes machinaux qui aident à penser ; moi, j’ai plutôt tendance à me cramponner à une tasse de café.

— À l’époque, vous aviez exactement le même aspect que maintenant, n’est-ce pas ? demandai-je – simple répétition d’une question antérieure.

C’était un petit message verbal : Dieu vous a pourvu en qualités de toutes sortes, jeune homme.

— Oui. J’aimerais bien être glabre, mais de toute évidence je n’ai pas cette chance. Je suis revenu sous mes propres traits, et j’ignore qui m’a appelé. Pourquoi mon corps a-t-il repris forme cette fois-ci ? Je n’en sais rien.

Autrefois, quand j’étais appelé par des magiciens, ils me donnaient l’aspect de leur choix ; ce pouvait être tout à fait horrible. Il était très rare qu’ils attendent en retenant leur souffle de voir sous quelle forme je m’incarnerais de ma propre initiative. J’étais en général appelé sous une forme spécifique : « Azriel, Serviteur des Ossements d’Or que je tiens dans ma main, surgis dans un embrasement de feu et consume mes ennemis. »

Quoi qu’il en soit, pour répondre à votre question, j’avais, à l’heure de ma mort, la même apparence que maintenant, à l’exception d’un trait caractéristique qui m’a été ajouté juste avant mon assassinat, et que je vous conterai plus tard.

— Et votre père ? En quoi était-ce une erreur de lui parler de Mardouk ? Pourquoi ? Que vous a-t-il fait, Azriel ?

Il hocha la tête.

— C’est la partie la plus difficile à rapporter, Jonathan Ben Isaac, et je ne l’ai jamais révélée. Dieu me pardonnera-t-Il donc jamais ? Me refusera-t-Il à jamais de monter au Ciel ?

— Azriel, permettez-moi de vous mettre en garde, en tant qu’être humain. Ne soyez pas si sûr du Ciel. Ne soyez pas plus sûr que ne l’était Mardouk du vrai visage de Dieu.

— Est-ce à dire que vous croyez en l’un et pas en l’autre ?

— Je veux atténuer la souffrance que crée en vous le récit des événements. Je veux atténuer votre sentiment de fatalité, et votre impression d’avoir été condamné par autrui à un sort terrible.

— Quelle sagesse, et quelle générosité d’esprit. Je suis encore naïf à bien des titres.

— Je vois, et je comprends. Mais retournons à Babylone, voulez-vous ? Expliquez-moi ce que votre père avait à voir dans tout cela.

— Ah, mon père et moi, comme nous étions amis ! J’étais son meilleur ami, mais mon meilleur ami était Mardouk.

J’étais l’organisateur de nos beuveries, et lui… lui seul pouvait me faire faire ce que… ce qui a fait de moi le Serviteur des Ossements.

C’est curieux, la façon dont tout se met en place. Sa voix baissa jusqu’au murmure. Ils ont sélectionné des ingrédients et les ont mélangés ; à eux seuls, jamais les prêtres n’auraient pu amener mon père à pareille extrémité. Cyrus le Perse ? J’avais autant confiance en lui qu’en n’importe quel autre tyran. Et le vieux Nabonide, quel a été son conseil ? Il n’était là que grâce au bon vouloir de Cyrus, à une sorte de bonté doublée de ruse. Dans l’Empire perse, tout reposait sur la ruse. Peut-être en va-t-il de même pour tous les empires.

— Prenez votre temps… Reprenez votre souffle.

— Oui… Permettez-moi de vous présenter ma famille. Ma mère est morte quand j’étais enfant. Elle était très malade et se lamentait à l’idée qu’elle ne vivrait pas assez longtemps pour voir Yahvé tourner à nouveau Sa face vers nous et nous ramener à Sion. Sa famille était entièrement composée de scribes. Elle-même était scribe et elle avait été prophétesse en son temps, m’a-t-on dit, mais ce don s’était éteint à la naissance de ses fils.

Elle a manqué à mon père jusqu’au dernier jour. Il avait deux femmes non juives, que je partageais avec lui ; nous ne voulions pas avoir des enfants ou nous marier, juste nous divertir.

Chez nous, mon père travaillait beaucoup. Il notait les psaumes en s’efforçant de transcrire les paroles exactes de Jérémie telles qu’elles nous étaient parvenues, et nous en discutions jour et nuit. Mon père dirigeait rarement les prières. Mais il avait une très belle voix, et je l’entends encore chanter les louanges de l’Eternel.

Lui et moi considérions secrètement les idolâtres comme complètement fous, alors pourquoi ne pas travailler pour eux au temple et céder à leurs lubies ?

Comme je vous l’ai dit, nous préparions de temps en temps le repas de Mardouk, avec les prêtres. J’avais beaucoup d’amis parmi eux ; comme partout, certains avaient la foi, d’autres ne croyaient à rien. Nous tirions les tentures autour de la table du dieu, puis nous remportions la nourriture, que, bien entendu, le dieu Mardouk avait consommée et savourée à sa manière – par les odeurs et la vapeur – pour la proposer aux membres de la famille royale, aux otages royaux, aux prêtres et aux eunuques invités à manger le repas du dieu, ou à partager la table du roi.

Je le répète, nous autres, Hébreux, ne mangions pas cette nourriture-là. Non, jamais nous n’aurions fait cela. Nous respections les lois de Moïse autant que nous le pouvions. Il y a quelques jours, à New York, lorsque j’ai commencé à rechercher les assassins d’Esther Belkin, je me suis trouvé devant le grand-père de Gregory Belkin, le rebbe de Brooklyn. J’ai observé que beaucoup de ces Juifs, si stricts soient-ils, gagnent leur vie à New York dans le commerce, comme nous à Babylone, et si certains d’entre eux sont réellement dévoués et pratiquants, d’autres n’y attachent aucune importance.

Il se tut à nouveau, nullement pressé d’affronter la souffrance à venir.

— Mais revenons à Babylone. Cette nuit-là, je danse dans la taverne avec mon père. Là-bas, tous les hommes dansent ensemble. Pas de prostituées dans ce lieu, juste un rassemblement d’hommes. Et je lui dis :

— J’ai vu mon dieu de mes propres yeux. Je l’ai vu et je l’ai serré sur mon cœur. Père, je suis un idolâtre, mais je te jure que j’ai vu Mardouk et qu’il m’accompagne.

Là, dans le coin le plus reculé, Mardouk me tourne délibérément le dos et secoue la tête.

Des heures plus tard, mon père et moi discutons toujours.

— Tu es un sage, tu es un visionnaire, mais tu as mal utilisé tes pouvoirs, dit mon père. Tu aurais dû les employer pour nous.

— Je le ferai, père, je les emploierai pour nous, mais dis-moi, que veux-tu ? Mardouk ne me demande rien. Mais toi, que veux-tu de moi ?

Le lendemain, Mardouk m’apparut à quelques rues de chez moi, vaporeux, doré, visible. Il me mit en garde :

— Ne me touche pas, ou bien nous allons devoir faire face à un spectacle religieux.

— Dis-moi, es-tu fâché de ce que j’aie parlé de toi à mon père ? lui demandai-je aussitôt.

Nous marchions comme deux amis, et l’avoir près de moi m’était un grand réconfort.

— Non, je ne suis pas fâché contre toi, Azriel. Je me méfie juste des prêtres du temple. Beaucoup de vieux prêtres complotent, et tu ne peux jamais savoir ce qu’ils attendent de toi. Écoute-moi. J’ai des choses à te révéler avant que nous ne nous engagions davantage, ou toi, tout au moins, car, pour ma part, je suis déjà profondément engagé. Allons dans le jardin public. J’aime te voir manger et boire.

Nous sommes allés dans son jardin préféré, situé sur l’Euphrate, loin des quais, des chantiers navals et du tintamarre. Il était à l’embranchement d’un des nombreux canaux, plutôt sur le canal que sur le fleuve, où régnait toujours une grande animation. Cet immense jardin était ombragé de grands saules pleureurs, exactement comme dans le psaume, voyez-vous, et quelques musiciens jouaient de la flûte et dansaient pour une obole.

Mardouk s’assit en face de moi et croisa les bras. Nous nous ressemblions tellement qu’on aurait pu nous prendre pour des frères. Je me rendis compte que je le connaissais mieux que mes frères. D’ailleurs, je ne détestais pas du tout mes frères comme les Hébreux détestent leurs frères dans certains récits bibliques. Je les adorais. Ils étaient un peu rabat-joie pour ce qui était de boire et de danser, et je m’amusais mieux avec mon père. Mais je les aimais beaucoup.

Il se tut. Apparemment par respect pour ses frères décédés. Il était d’une extraordinaire beauté, dans son costume de velours rouge ; ses pauses m’obligeaient à lever les yeux vers lui, et cette vision était très séduisante. Il se remit à parler.

— Mardouk m’entreprit immédiatement. « Écoute avec attention, je vais te dire la vérité. Je n’ai aucun souvenir de mes débuts. Je n’ai aucun souvenir d’avoir tué Tiamat le grand dragon ni d’avoir créé le monde avec ses entrailles et le ciel avec le reste de sa dépouille. Cependant, cela ne signifie pas que je ne l’aie pas fait. J’avance la plupart du temps dans un brouillard. Je vois les esprits des dieux et les esprits errants des morts. J’écoute les prières et je m’efforce d’y répondre. Mais c’est un endroit sinistre, là où je vis. Quand je me retire dans le temple pour le banquet, c’est avec grand plaisir, car le brouillard se dissipe. Sais-tu ce qui le dissipe ?

— Non, mais je peux le deviner… Les prêtres te voient, les puissants devins te voient.

— Exactement, Azriel. Je deviens solide et visible pour les magiciens, pour les devins, pour tous ceux qui ont des yeux pour voir. Je bois les libations d’eau, je les inhale, je hume le fumet des aliments, et cela me met en humeur de vie. Puis je réintègre la statue et je repose dans l’obscurité. Le temps ne signifie plus rien pour moi. J’écoute Babylone. Mais les mythes du commencement, je ne m’en souviens plus, comprends-tu ?

— Pas vraiment, avouai-je. Cherches-tu à me dire que tu n’es pas un dieu ?

— Si, je suis un dieu très puissant. Si j’usais de mon pouvoir, je pourrais disperser ce marché, ou ce jardin, à l’aide d’un vent très fort. Facilement. Mais les dieux ne savent pas tout. Et le récit des origines qui raconte comment Mardouk est devenu le chef des dieux, comment il a tué Tiamat, comment il a construit la tour jusqu’au ciel… Eh bien, je n’ai pas souvenir de ces faits. Je faiblis, je ne m’en souviens plus. Les dieux peuvent mourir. Ils peuvent disparaître. Comme des rois. Ils peuvent s’endormir, et il en faut alors beaucoup pour les réveiller. Quand je me réveille et que je me sens bien, j’aime Babylone et Babylone m’aime infiniment.

— Seigneur et maître, dis-je, tu es découragé parce que la Procession du nouvel an n’a pas eu lieu depuis dix ans, et que notre roi Nabonide te néglige, ainsi que tes prêtres. C’est tout. Si nous pouvions faire revenir ce vieil idiot pour que la Procession ait lieu, tu serais vivifié par tous ceux qui, dans Babylone, te verraient à nouveau sur la voie des Processions.

— C’est une bonne idée, Azriel, et qui ne manque pas de vérité. Mais la Procession du nouvel an n’a pas d’attrait pour moi. Je n’éprouve aucun plaisir à être confiné dans la statue et à tenir le roi par la main. Je suis toujours tenté de lui flanquer un coup de poing, de l’écarter de moi et l’envoyer dans le caniveau. Comprends-tu ? Ce n’est pas du tout ce qu’ils te racontent ! Pas du tout !

Il se tut, et me fil signe de réfléchir à ses paroles. Puis il déclara qu’il voulait tenter quelque chose. Les instants qui suivirent devaient exercer une cruciale influence sur mon propre destin, mais je l’ignorais.

— Azriel, dit-il, voici ce que je veux que tu fasses. Regarde-moi, et chasse cet or de ton esprit, pour me voir aussi rose et vivant que toi, la barbe noire et les yeux bruns. Tends les mains el touche-moi. Sors le dieu de cet or. Essayons.

Je tremblais.

— De quoi as-tu peur ? Personne ne verra rien d’autre en face de toi qu’un noble bien habillé.

— J’ai peur parce que cela pourrait réussir, maître et seigneur. Il m’est venu une pensée troublante. Tu veux t’évader, Mardouk. Si cela réussit, si mes yeux et mon contact peuvent te rendre visible, tu pourras l’évader, n’est-ce pas ?

— En quoi diable cela peut-il effrayer un Fils de Yahvé ! Il se ressaisit. Excuse-moi de m’être mis en colère. Je t’aime plus que tous mes fidèles et mes sujets. Je n’abandonnerai pas Babylone. Je resterai tant que Babylone aura besoin de moi. Je serai là quand les sables nous enseveliront. Alors, peut-être m’échapperai-je. Cela me libérerait. Cela m’enseignerait que je peux, en tant que dieu, prendre une forme humaine et me promener. Cela m’enseignerait quelque chose sur mes facultés. Vois-tu ? Je peux provoquer des tempêtes, je peux guérir, même si c’est très compliqué, je peux exaucer des souhaits, et je sais que les terribles démons ne sont que des morts sans repos.

— Vraiment ? m’exclamai-je.

Laissez-moi ouvrir une parenthèse pour vous dire qu’à Babylone chasser les démons était une grande affaire. Des gens s’enrichissaient en expulsant les démons des maisons, des malades, et ainsi de suite. Il y avait toutes sortes de rituels et de charmes et on allait trouver l’exorciste pour faire ce qu’il vous ordonnait. Je souhaitais donc savoir si les démons existaient. Mais Mardouk ne me répondit pas tout de suite.

Puis il déclara :

— Azriel, la plupart des démons sont les morts sans repos. Il existe des esprits puissants, des esprits aussi forts que les dieux. Certains d’entre eux sont emplis de haine, ils aiment faire mal. Mais en général ils ne prennent pas la peine de rendre malade une fille de ferme ou de maudire une petite maison. Ce ne sont là que des malfaisances de morts sans repos ! Les morts sans repos ont besoin d’agir pour que se dissipent le brouillard et la fumée dans lesquels ils errent.

Je n’en attendis pas davantage. J’étais bouleversé par sa générosité et sa patience à mon égard – il faut que vous imaginiez la splendeur de cette noble créature entièrement couverte et imprégnée d’or, assise là, en face de moi, et que j’aimais d’un cœur battant. Je l’aimais à rire et à pleurer.

Je tendis les mains. En le touchant, je priai pour qu’il soit délivré de l’or qui le recouvrait et que lui soit accordée la liberté d’un homme. Pouvez-vous deviner ce qui s’est produit ?

— Il est devenu aussi visible que s’il était réel, suggérai-je.

— Exactement. J’ai ainsi appris sur les esprits une chose que j’allais par la suite utiliser à mon propre avantage. Il est devenu visible, superbe gentilhomme en tenue d’apparat, attablé face à moi avec une coupe de vin devant lui sur la table en marbre. Il souriait. Il s’est fait un certain brouhaha autour de nous quand les gens l’ont remarqué. Je ne pense pas qu’ils l’aient vu se matérialiser, comme on dirait aujourd’hui. Ils l’ont simplement remarqué. Parce qu’il était beau.

— Était-ce clair qu’il était Mardouk ? demandai-je.

— Non. Débarrassé de l’or, il aurait pu être un roi, ou un ambassadeur. La statue était plus stylisée, voyez-vous. Mais tout le monde le remarquait. Les musiciens se sont interrompus, jusqu’à ce qu’il leur fasse signe de poursuivre. Ils l’ont vu ! Ils ont alors repris le morceau.

J’étais glacé d’appréhension. « Allons, mon ami, dit-il. Je vois plus clairement que jamais et, bien que ce corps soit léger, j’en aime la forme ; les regards qu’il attire me donnent autant, de puissance que la Procession du nouvel an. Ils me voient ! Ils ne savent pas qui je suis, mais ils me voient. Allons, ami, marchons un peu. Je veux monter au sommet des murailles et parcourir le temple avec toi, je veux voir les choses clairement avec toi, maintenant. Tu n’as pas besoin de m’emmener chez toi. Tes oncles vont s’affoler. Malheureusement, j’entends avec mes oreilles de dieu qu’ils rassemblent déjà les sages de Judée pour parler de toi, et annoncer que tu vois et entends les dieux païens. Allons, viens, j’ai envie de marcher. »

Il se leva et m’entoura de son bras, puis nous sortîmes ainsi dans le jardin. Nous marchâmes tout l’après-midi. Je lui demandai :

— Que se passera-t-il si tu ne retournes pas au temple pour le banquet du matin ?

— Idiot ! dit-il en riant. Tu sais bien comment cela se passe. Je hume la nourriture, je ne la mange pas. Ils la déposeront devant la statue, puis la remporteront pour la distribuer au personnel du temple qui doit se nourrir à la table du dieu. Il ne se passera rien du tout !

Nous avons parcouru tous les quartiers de Babylone, longé les canaux et le fleuve, traversé les ponts, flâné au marché et dans les nombreux parcs et jardins. Il contemplait avidement les choses et, maintenant que je suis un esprit, je comprends ce qu’il éprouvait à voir toutes ces couleurs vives. Je comprends mieux ce qu’il a enduré.

Soudain, près de la porte d’Ishtar, il s’immobilisa. « Tu la vois ? » Je la voyais ; la déesse. Elle nous dévisageait furieusement. Elle était couverte d’or et de joyaux, elle était invisible. Je voyais à travers son visage en colère.

— Ha, mon évasion ne lui plaît pas du tout !

Il commença à s’inquiéter. Pour la première fois, son visage exprima la peur. Non, pas la peur. L’appréhension. Il devint méfiant. Et je vis pourquoi. De nombreux esprits nous encerclaient, le dévisageant, l’enviant, le défiant de leurs sourcils froncés. Des dieux nous entouraient. Ainsi, j’aperçus le dieu Nabou, puis le dieu Shamash. Tous étaient des dieux babyloniens, avec leurs propres temples et leurs prêtres. Je me rendais compte qu’ils étaient en colère contre nous.

— Pourquoi n’as-tu pas peur d’eux, Azriel ? me demanda Mardouk à voix basse.

— Pourquoi aurais-je peur, maître et seigneur ? D’abord je suis avec toi, ensuite je suis hébreu. Ce ne sont pas mes dieux.

Cela lui parut très drôle, et il se mit à rire. Je ne l’avais pas entendu rire depuis qu’il était devenu visible.

— C’est une parfaite réponse d’Hébreu, déclara-t-il.

— Oui, je le pense aussi. Dis-moi, maître et seigneur, les offenserais-je, en essayant de ne pas les voir ? Les offenserais-tu, en les bannissant ?

— Non. Ici, c’est moi le grand dieu.

Il fit un geste de colère, hardi et décidé ; les esprits pâlirent et se dissipèrent comme une fumée, même le dieu Shamash, puis ils disparurent. Mais il restait les morts sans repos, partout. Mardouk ouvrit les bras, leur parla en sumérien, et leur adressa des bénédictions.

— Retournez à votre sommeil, retournez dans le sein de la Terre Mère, retournez à la paix de vos tombes, et à la sérénité du souvenir qu’ont de vous les cœurs et les esprits de vos enfants.

Dieu merci, les morts s’en allèrent. Mardouk et moi, bien visibles, attirions une attention considérable – ce jeune homme noble qui faisait des gestes extravagants à l’adresse de personnes que nul ne pouvait voir, et ce riche Hébreu surchargé de bijoux, qui se tenait là comme un page ou un compagnon.

Les morts disparurent. Mon cœur se serra. Je me souvins du fantôme de Samuel, quand la pythonisse d’Endor l’avait appelé à paraître devant le roi Saül. Il avait dit : « Pourquoi troubles-tu mon repos ? » Ah, la désolation de ce repos ! Je ne voulais pas être mort. Je tendis la main et saisis celle de Mardouk. Il était plus fort, maintenant qu’il avait été vu si longuement et par tant de gens. Inutile de vous en expliquer trop, mais c’est simple : plus il s’incarnerait et plus il deviendrait fort.

J’avais cependant les idées embrouillées. Pourquoi n’exigeait-il pas des prêtres qu’ils le rendent à la vie et ne se promenait-il pas tel quel, tout en or, le dieu incarné, à travers la ville ? Je n’avais jamais entendu parler de dieux qui aient agi ainsi, mais après tout je n’avais pas rencontré de dieu, avant Mardouk. Il lut ces pensées pour moi. Il paraissait toujours plein d’appréhension.

— Azriel, les prêtres ne sont pas assez puissants pour me rendre visible et solide en or. Ils ne peuvent même pas déplacer la statue ! Ils n’ont pas, comme toi, le don de créer une image de moi en or et de la faire marcher. Ils n’en ont pas le pouvoir. Même s’ils l’avaient, que serait ma vie ? Une interminable Procession de nouvel an entouré de fidèles ? J’ai vu des dieux s’y laisser prendre ! Finalement ils n’ont rien, ils appartiennent à tout le monde. Les gens peuvent toucher leurs vêtements, leur peau, leurs cheveux, et ils finissent par s’enfuir dans le brouillard en hurlant comme les morts déroutés. Je ne ferais une telle chose que si Babylone en avait besoin, or, ce n’est pas le cas. Mais Babylone a besoin de quelque chose, très vite. Tu sais pourquoi.

— Cyrus le Perse. Il se rapproche chaque jour. Il pillera Babylone. Ou bien il massacrera mon peuple avec tous les habitants, ou bien… peut-être nous épargnera-t-il.

Mardouk m’entoura de son bras et nous traversâmes bravement la foule amassée là pour nous contempler. Nous passâmes dans un autre grand jardin, l’un de mes préférés, où des musiciens jouaient de la harpe en permanence. Les Hébreux y jouaient leur musique et s’y réunissaient souvent pour danser. Je n’avais pas prévu d’aller directement vers mon peuple, mais finalement ce fut sans conséquence. Mardouk déclara hâtivement :

— Azriel, je crois que nous nous sommes trompés de direction.

— Bah, ils ne nous prêteront pas plus d’attention qu’à quiconque. Ils me voient avec un homme riche. Je suis un marchand. Je dirai que je t’ai vendu ta belle ceinture d’or et tes joyaux.

Il se mit à rire. Il me fit asseoir avec lui et nous recommençâmes à chuchoter.

— Que sais-tu des Perses ? me demanda-t-il. Que sais-tu des cités que conquiert Cyrus ! Que sais-tu ?

— Eh bien, je connais les mensonges que répandent les Perses… que Cyrus apporte paix et prospérité, et qu’il laisse les gens vivre tranquillement, mais je n’en crois rien. C’est un roi meurtrier. Il marche vers la conquête, comme Assurbanipal. Je ne crois pas que les Perses accepteront paisiblement la reddition de cette ville. Qui les croirait ? Toi ?

Je m’aperçus qu’il ne m’écoutait plus. Il tendit le doigt.

— Voilà ce que je voulais dire, en déclarant que nous nous étions trompés de direction… Mais ils nous auraient trouvés de toute façon. Reste calme. Tais-toi. Ne révèle rien.

Je vis ce qu’il voyait. Une grande masse de vieillards hébreux s’élançaient vers nous, fendant la foule et la renforçant de tous côtés. En tête avançait le prophète Énoch, furieux, ses cheveux blancs hérissés, foudroyant Mardouk du regard. Je compris qu’il voyait Mardouk, alors que, incertains et soucieux de ne pas provoquer une émeute, les autres ne distinguaient qu’un homme noble avec ce fou d’Azriel, qu’ils connaissaient déjà pour un trouble-fête d’un genre à la fois doux, fort et docile.

Mardouk fixa le prophète droit dans les yeux. Et moi aussi. Il s’arrêta non loin de nous. Il était à moitié nu, comme le sont souvent les prophètes, couvert de terre et de cendres, et il portait un bâton. Pour la première fois depuis que j’entendais parler de lui – il ne figurait guère parmi mes favoris – je compris qu’il était un vrai prophète, à sa façon de foudroyer Mardouk, flamboyant d’indignation et de foi violente.

— Toi tonna-t-il, brandissant son bâton en direction de Mardouk. La foule effrayée recula. Tout de même, ce personnage avait l’air d’un homme riche ! Alors, le prophète ouvrit grands les yeux, et proféra : Accumule sur toi-même ton butin, l’or que tes soldats ont pris dans notre temple à Jérusalem, et revêts-t’en, sotte et inutile idole ! Vas-y, tu n’es fait que pour être en métal !

Avant que j’aie pu réagir, l’or descendit sur Mardouk et l’emprisonna. Il résista, je tentai de l’aider. À nous deux, nous parvînmes à n’en laisser s’accumuler qu’une fine couche, dépourvue de la vitalité des visions que j’avais si longtemps eues. Toutefois, l’or recouvrait entièrement Mardouk, et les rues retentissaient de bruits de pas précipités. Je levai les yeux vers les maisons situées au pourtour du jardin ; les toits disparaissaient sous la foule des spectateurs.

Mon père se fraya un chemin jusqu’au premier rang et brandit le poing devant Énoch.

— C’est à nous que tu fais du mal, cria-t-il. Ne le vois-tu pas !

Puis à son tour il découvrit Mardouk, debout et poudré d’or ; Énoch frappa mon père de son bâton.

J’étais fou de rage, mais mes frères entourèrent le prophète, et Mardouk me prit le bras.

— Reste avec moi, implora-t-il d’un murmure. Suis-je tout en or ?

Je lui expliquai qu’il en était recouvert. L’or durcissait, et il n’était plus l’idole animée du début. Il se contenta de sourire, les yeux levés vers les gens agglutinés sur les toits. Il se tourna et se retourna. Les gens se mirent à crier.

— Silence ! cria Énoch en frappant les dalles de son bâton, la barbe frémissante. Vous auriez dû le voir, campé dans toute sa gloire. Je vous le dis, les prophètes sont des meurtriers. Toi, Mardouk, dieu de Babylone, tu n’es qu’un imposteur envoyé du temple ! rugit-il.

Mardouk rit tout bas.

— Eh bien, il nous offre une échappatoire, Azriel. Quel soulagement !

— Veux-tu qu’ils croient en toi, maître ? Il te suffit alors de disparaître et de reparaître. Je t’aiderai.

Il me lança un regard accablant.

— Je sais, dis-je. Je te déçois. Tu ne veux pas être le dieu.

— Qui diable le voudrait, Azriel ? Je ne devrais pas dire cela, mais plutôt : qui renoncerait à la vie pour cela ? Le temps manque. Ton prophète, là, devant nous, va rugir comme un taureau.

C’est précisément ce que fit Énoch. Il éleva sa puissante voix. Comment un tel tonnerre pouvait-il jaillir d’un torse aussi chétif ?

— Babylone, ton heure est venue. Tu seras rabaissée. Alors que nous parlons, le roi sacré approche, Cyrus le Perse, le fléau qu’a envoyé Yahvé pour te punir de ce que tu as fait à Son peuple et nous ramener dans notre pays !

Des acclamations s’élevèrent parmi les Hébreux, des prières, des chants et des prosternations sans fin pour le Dieu éternel des Armées, sous les regards stupéfaits et les rires des Babyloniens. Puis Énoch répéta sa prophétie :

— Yahvé envoie un sauveur en la personne de Cyrus pour préserver cette ville… Oui, même toi, Babylone, tu seras délivrée des mains du fou Nabonide et confiée aux mains d’un libérateur.

Il y eut un instant de silence. Juste un instant. Puis une clameur s’éleva – de tous, Hébreux, Babyloniens, Grecs, Perses. La foule entière cria de joie.

— Oui, oui, le roi béni, Cyrus le Perse, qu’il nous délivre d’un roi fou qui a déserté la ville.

Les hordes commencèrent à s’incliner devant Mardouk, à se prosterner à ses pieds, bras tendus, avant de reculer…

— Très bien, imposteur, savoure ton instant ! cria Énoch. Selon la volonté de Yahvé, ta cité sera vaincue sans que le sang soit versé. Mais tu n’es pas un vrai dieu. Tu es un imposteur, et dans les temples il n’y a que des statues. Toi et tes prêtres nous verrez partir triomphalement, et vous nous remercierez d’avoir sauvé Babylone pour vous !

J’étais sans voix, n’y comprenant rien ! Mardouk se contenta d’acquiescer sans répondre aux insultes du prophète. Puis il se retourna et leva les bras.

— Je te quitte à présent. Prends garde, Azriel, et n’entreprends rien sans me demander conseil ! Méfie-toi de ceux que tu aimes. J’ai peur, non pour Babylone, car Babylone vaincra, mais pour toi. Voici venir mon moment de gloire.

Il se mit alors à étinceler d’une lumière d’or. Je vis à ses yeux fous que cela émanait de lui, comme le virent les Babyloniens et les Juifs. Il puisait en eux la force de devenir plus lumineux. Puis il déclara d’une voix puissante, plus puissante qu’une voix d’homme, qui fit trembler les frondaisons et se répercuta entre les maisons :

— Éloigne-toi de moi, Énoch, avec toute ta tribu. Je te pardonne tes dures paroles. Ton dieu est sans visage et sans pitié. J’en appelle maintenant au vent, pour qu’il vous disperse tous !

Le vent se leva au-dessus des toits, avec une grande férocité, soufflant du désert et chargé de sable. La silhouette d’or de Mardouk devint immense devant moi, mais je savais à présent qu’elle n’était qu’illusion, car il pâlissait et, tandis que je le contemplais, il explosa dans un jaillissement d’or. La foule s’affola. Tout le monde se mit à courir, pris de panique. Ce qu’ils avaient vu les faisait fuir. Ce qu’ils avaient entendu les faisait fuir, ou peut-être était-ce le violent vent de sable.

Moi, je restai là, seul, tandis que mes frères accouraient à mes côtés, avec le prophète Énoch, qui riait, les bras levés ! Puis il a fondu sur moi, écartant mon père avec son bâton, et m’a jeté le mauvais œil ! Il m’a regardé, et m’a dit :

— Tu vas payer pour avoir mangé la nourriture des faux dieux ! Tu vas payer ! Tu vas payer ! Il me cracha dessus, se pencha pour ramasser un peu de sable apporté par le vent, et le lança sur moi. Mes frères le supplièrent de cesser, mais il se contenta d’en rire, et de répéter : Tu vas le payer.

J’entrai alors dans une vive colère. Mon heureuse disposition me quitta. Je ressentis le premier des accès de rage qui allaient bientôt me devenir habituels, après ma mort. Je me penchai vers lui et déclarai :

— Dis à Yahvé d’arrêter cette tempête de sable, idiot !

Mes frères m’éloignèrent en me traînant. Une foule de vieillards dévoués s’élancèrent pour protéger Énoch, et ils l’emportèrent. Il se débattait comme un fou en hurlant et peu à peu, tandis que nous courions nous réfugier chez nous, le vent mourut.

Le sortilège de Babylone
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